 |
Entretien avec Olivier Hespel
Le son est au bout de la perche
Le perchman est un passeur. Non de lumière mais de sons. Ombiliquement
relié à l'ingénieur du son lors d'un tournage, il se
penche au plus près des voix et des corps. Les hurlements d'un parquet
qui grince, les vibratos d'un timbre vocal, les murmures d'une promesse, la
couleur pastel du silence. La vie de sons prélèvés au
moment de la prise de vue, dans la captation directe de l'émotion et
de la vérité. Rencontre avec Olivier
Hespel, assistant son sur Toto le héros, Abracadabra,
ou encore La Vie des morts d'Arnaud Desplechin.
Cinergie : Que dit-on? Perchiste ou perchman ?
Olivier Hespel : Perchiste, ça fait un peu lampiste, perchman
c'est un abus de langage. Assistant du son me paraît plus approprié.
Lors d'un tournage, on peut entendre des gens se faire la réflexion :
"il y a un type qui tient un bâton avec un micro au bout, à
quoi ca sert? Pourquoi ne met-on pas le micro sur un pied?" Tout cela sous-entend
une méconnaissance du métier de "perchman". Le fait
de percher, c'est-à-dire d'aller chercher les sons au plus près
de leur source d'émission, représente l'essentiel de notre travail,
c'est vrai, mais il ne se limite pas à cela. Il faut préparer
le matériel, choisir les emplacements des micros additionnels, etc.
C : Cette action de percher, pourquoi est-elle fondamentale dans la captation
du son direct, c-à-d, enregistré au moment même de la prise
de vue ?
 |
Olivier Hespel sur le tournage
de Toto le héros de Jaco Van Dormael © JMV. |
O. H. Il ne faut pas oublier que, contrairement à la vue,
nous ne pouvons jamais "occulter" l'ouïe. Nos oreilles fonctionnent
en permanence, ce qui nous oblige à faire un tri dans ce que nous entendons.
Au moment où nous parlons, notre attention se focalise sur nos propos,
et notre cerveau atténue les bruits indésirables. C'est ce qu'on
appelle le phénomène de l'écoute intelligente. Le travail
du perchman est de pallier à ce manque d'écoute intelligente du
micro en l'orientant de manière optimale. Un exemple: après une
répétition avec des comédiens qui se déplacent sur
du parquet qui émet un léger grincement , l'ingénieur du
son pourra être le seul à se plaindre du bruit alors que les dialogues
sont parfaitement audibles pour tout le monde. Mais lorsqu'on écoute
la bande, on se rend compte que le petit grincement du plancher, insignifiant
pour nos oreilles devient terriblement présent à l'enregistrement.
L'ingénieur du son, secondé par le perchman, va privilégier
les sons qui l'intéresse en priorité - en général
la voix des comédiens et la parole -, moduler le niveau des sons parallèles
et éliminer, si possible, les sons parasites.
C : Et si l'on ne peut neutraliser ces sons parasites ?
O. H. : Si la prise de son est insatisfaisante au tournage, il y a
toujours la possibilité de la refaire après, en studio, y compris
pour les dialogues, qui peuvent être rejoués en post-synchronisation.
Ce qui n'est pas le cas de l'image. S'il manque de temps sur le plateau, c'est
les femmes et les enfants d'abord, c'est-à-dire l'image en premier lieu,
et le son après s'il reste de la place sur le bateau. Si on ne peut pas
obtenir un son direct de bonne qualité, on se contente d'enregistrer
les voix comme ça, sans se préoccuper des bruits, c'est ce qu'on
appelle un son témoin, juste pour obtenir une trace, un repère
pour le montage et la post-synchronisation.
C : L'équipe son est-elle marginalisée sur un plateau ?
O. H. : Elle est souvent réduite à deux personnes, voire
trois s'il y a un stagiaire. Elle est de loin inférieure à l'équipe
caméra, aux électros ou aux machinos. Et l'essentiel d'un tournage,
c'est quand même la mise en place de l'éclairage, de la technique
image.
Le rôle de l'ingénieur et du perchman est d'enregistrer le mieux
possible les voix, point. Si le réalisateur a des attentes très
précises sur l'image, je n'ai jamais entendu un metteur en scène
dire "on va faire passer le comédien dans cette flaque d'eau parce
que le clapotis donnera un relief sonore intéressant à la scène".
Moi je n'ai jamais vécu ça, j'en rêve mais... Ceci dit,
c'est au réalisateur a faire des choix esthétiques, et à
nous à les suivre. Le travail du son est un plaisir, mais c'est clair
qu'il peut devenir douloureux si on a un ego surdéveloppé!
Se ménager un couloir
C : Pendant la mise en place de la scène, que se passe-t-il pour
vous ?
O. H. : On regarde comment s'élabore petit à petit l'éclairage.
Il faut savoir où l'on va percher car si la perche est dans le trajet
lumineux d'un spot, on risque de voir apparaître son ombre à l'écran.
Il faut donc observer et anticiper, se ménager un "couloir"
à travers la lumière, en discuter avec le chef op', et parfois
cacher les micros dans le décor.
C. : Quel est le lien entre l'assistant qui se préoccupe d'abord
de percher et l'ingénieur du son qui se concentre pendant la prise sur
l'enregistrement ?
O. H. : C'est un rapport très fort, je dirais presque instinctif.
Quand on est perchman, on travaille assez régulièrement avec la
ou les mêmes ingénieurs. C'est capital dans la mesure où
il faut une connivence pour résoudre au plus vite les problèmes.
En observant les répétitions, on sait d'emblée que l'on
va "moquetter" à un endroit, placer un peu de mousse sur une
porte qui claque, etc. C'est une complicité, un rapport de confiance
mutuel. Dans la plupart des cas, les ingénieurs ont été
perchmen, ce qui facilite la compréhension et les attentes. En ce moment,
je travaille avec Ricardo
Castro et Henri Morelle qui sont pour moi - et pour beaucoup de gens - de
très grands ingénieurs du son, tant du point de vue technique
que de la sensibilité. L'intérêt d'être technicien
de cinéma, c'est de rentrer dans l'imaginaire du cinéaste. Et
chez ces deux personnes, c'est, je crois, la motivation première.
C. : Qu'est-ce qui relève selon vous pour l'assistant
de la technique et ce qui, au contraire, s'en écarte ?
O. H. : Que fait un perchman? Il suit les comédiens, ou plutôt,
il se déplace en même temps que les acteurs, de sorte que le micro
se trouve au-dessus de la bouche des comédiens. Cela nécessite
différentes aptitudes. D'abord, un feeling sur le jeu, le déplacement
des comédiens de manière à bouger exactement en même
temps qu'eux. Si on accuse le moindre retard, cela se traduit par des variations
de niveau sur la bande. C'est cette sensibilité qui à mon sens
est la dimension la plus créative.
Côté technique, il faut connaître les particularités
des micros et des types de perches. Il y a des perches qui ont des répercussions
microphoniques importantes qui nécessitent des manipulations en douceur.
C. : Est-ce un travail physique intense ?
O. H. : Contrairement aux apparences, non. Certaines perches peuvent
êtres lourdes mais un plan ne dure jamais plus de quelques dizaines de
seconde.
C. : Avez-vous le casque au moment de la prise de son ?
O. H. : Non. Parce qu'en général, je travaille avec
des ingénieurs qui utilisent plusieurs micros sur le plateau, et si je
porte un casque, il est très difficile de savoir si ce que j'entends
provient de ma perche, ou bien des autres micros cachés dans le décor
ou des micro-émetteurs que portent les comédiens. Avec le casque,
la localisation des sons dans l'espace devient quasi impossible.
Mais parfois on ne peut pas faire autrement. Quand on est seul à l'enregistreur
et à la perche. C'est un cas de figure courant dans le documentaire.
L'autre cas, c'est en télé où le perchman doit avoir un
casque pour recevoir les instructions de la régie.
L'un flou, l'autre net
C. : Quel est votre rapport avec le cadre ?
O. H. : Comme la perche ne peut apparaître évidemment
dans le champ, vous apprenez très vite à connaître les focales
ou à faire attention au point. Si dans une scène à deux
personnages, la mise au point est faite uniquement sur l'un des deux, je dois
le savoir pour ne pas percher celui qui apparaîtra flou à l'image!
Et comme il est hors de question de déranger tous le temps l'assistant
caméra, il faut observer, connaître un minimum la technique.
C. : Comment appréhende-t-on un lieu de tournage qui est aussi
un espace sonore à part entière ?
O. H. : Pour un film de fiction, on a lu le scénario, la
veille on relit la séquence qui va se tourner, et l'ingénieur
du son a effectué généralement des repérages; on
a donc en notre possession un certain nombre de renseignements sur la qualité
de l'acoustique que l'on va être amené à rencontrer. On
trimballe toujours des couvertures, des mousses pour casser une mauvaise réverbération,
pour insonoriser au maximum un lieu. Pour le grincement du parquet - cas de
figure fréquent -, on étouffe les pas avec de la moquette ou on
mouille le bois. C'est un peu du bricolage de dernière minute. Il y a
aussi la hauteur de plafond qui est importante car il faut de la place pour
la perche.
Quant à la couleur sonore propre à chaque lieu, on réalise
toujours une prise de son dans le décor, quand personne ne bouge et que
rien ne se passe. C'est ce qu'on appelle un raccord plateau. Car après
le tournage, si l'on veut remplacer une partie du son direct par de la post-synchro,
on change de milieu sonore, ce qui risque ce créer une rupture sonore.
Il y a toujours un bruit de fond propre à chaque lieu. Dans cette pièce,
ce pourrait être le léger grésillement de la lampe halogène
ou la rumeur lointaine des voitures.
C. : L'assistant prépare aussi le matériel son. Quel
est-il ?
O. H. : Un, voire deux enregistreurs, des perches de différentes
grandeurs, une petite table de mixage, la mixette, pour pouvoir " entrer "
plusieurs micros, différents types de micros avec un modèle "principal"
choisi par l'ingénieur en fonction de sa directivité, de sa "couleur".
On dispose aussi de micro-émetteurs que l'on camoufle sous les vêtements
du comédien si on ne peut pas percher. Mais le micro-émetteur
n'a pas un très bon rendu, le frottement des tissus est un problème
constant, et la réception n'est pas toujours bonne. C'est un pis-aller.
Mais si on tourne en plan très large et que le réalisateur désire
entendre les voix en " gros-plan ", il n'y a pas d'autre
solution, mis à part la post-synchro qu'on essaie d'éviter car
la prise directe de la voix au tournage contient généralement
une présence, une chaleur, un relief difficilement recréables
en studio.
C. : Et le documentaire ?
O. H. : En documentaire, l'équipe technique est très
réduite, on fait davantage corps. Il y a souvent une complicité
plus grande, entre autres avec le chef op' et l'ingénieur du son qui,
comme je l'ai dit, dans ce cas, peut être en même temps perchman.
C. : Depuis quelques années, l'enregistrement numérique
concurrence le célèbre Nagra, l'enregistreur à bandes analogiques
traditionnel mis au point dans les années 60. Une révolution ?
O. H. : C'est vrai que le DAT (enregistrement numérique)
a moins de souffle, qu'il offre une qualité équivalente au CD
et qu'il a une dynamique extraordinaire. Mais pour le son direct, c'est un support
douteux. Contrairement au Nagra, il ne permet aucune saturation. Or, dans le
direct, les "gueulantes" sont courantes, les variations de niveau
de voix importantes. Cette crainte de surcharge, avec comme résultat
une distorsion ou l'apparition d'un "tic, tic, tic", oblige à
exploiter cette fameuse dynamique à la moitié ou au quart de ses
possibilités. Et de toute manière, cette dynamique est compressée
au mixage.
Propos recueillis par Renaud Callebaut (janvier 1997)
dessins : Anne-Catherine Van Santen
|
 |
 |
 |
|
 |