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Henri Morelle, ingénieur du son
De la prise de son à l'ensemble sonore
Qu'est-ce qu'un ingénieur du son ? Quel est son rôle ?
Doit-il opérer en son direct ou en play-back comme Fellini avec son
témoin pendant le tournage ? La conception sonore d'un film est
d'autant plus importante que les salles sont désormais équipées
de systèmes stéréo et envisagent, pour l'avenir, la quadriphonie.
Cinergie : Un directeur photo conçoit l'image d'un film,
peut-on dire que l'ingénieur du son en signe la bande sonore ?
Henri Morelle : Il existe une différence importante entre le
travail d'un directeur photo et celui d'un ingénieur du son et les comparer
me semble une erreur. Un directeur photo conçoit la lumière du
film entièrement au tournage, l'ajuste lors de l'étalonnage et
en contrôle la cohérence, tandis que l'ingénieur du son
construit son travail en plusieurs étapes. Il y a d'abord la préparation
du tournage où se définissent et se précisent les climats
sonores du film, ensuite l'étape du tournage proprement dite, qui consiste
le plus souvent à enregistrer le mieux possible le son direct et avoir
le meilleur rendu des dialogues et du jeu des comédiens, enfin la finition
qui concerne l'habillage sonore, les ambiances, les effets, ce que j'appelle
la partition sonore du film.
C. : Le preneur de son suit chaque étape de la chaîne
de fabrication d'un film jusqu'à sa conclusion. Il peut donc contrôler
l'évolution générale de la bande son ?
H. M. : Non car son travail doit s'intégrer à un
ensemble sonore plus complexe où interviennent d'autres éléments
apportés par le bruiteur, le compositeur des musiques ou le monteur son,
pour ne citer que ceux-là. L'intervention de ces différentes personnes
pose le problème de l'homogénéité de la bande sonore
finale. Contrairement à l'image, l'unité de la bande son ne dépend
pas d'une seule personne.
A l'image, il y a bien sûr un cadreur, un assistant caméra et
d'autres techniciens mais c'est le directeur photo qui en définitive
imprime son style et contrôle la continuité de l'image. Dans le
cas du son, c'est l'interaction de plusieurs personnes qui, à partir
des exigences du réalisateur, doit trouver son unité.
C. : Il lui est donc difficile de créer une bande son homogène
à partir d'éléments qu'il ne contrôle pas.
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Henri Morelle © JMV. |
H. M. : Effectivement, et son intervention se résume
le plus souvent à la prise du son direct lors du tournage et à
un habillage réaliste et simple de la parole, par la suite.
C'est dommage car le travail du son est lourd de nombreux enjeux. Certains,
très techniques, sont liés aux problèmes des nuisances,
des traitements acoustiques, de l'insonorisation ou encore à la connaissance
du matériel, les différentes textures des micros, etc. D'autres,
esthétiques, concernent la recherche de timbres, d'ambiances propres
à une scène qui viennent enrichir son atmosphère et l'intègrent
au reste du film. Entre ces problèmes techniques et ces questions d'esthétique,
il y a un éventail de possibilités au sein duquel l'ingénieur
du son peut développer un point de vue créatif par rapport à
la demande d'un réalisateur.
C. : Comment intervient cette part créative de l'ingénieur
du son ?
H. M. : Prenons pour exemple un film où le travail du son
est élaboré dès la lecture du scénario et où,
pour certaines séquences, je peux construire une partition sonore intéressante.
Benvenuta d'André
Delvaux correspond bien à ce type de travail. Dans ce film, il y
a des scènes dialoguées et des scènes sans texte où
un travail d'ambiance était nécessaire pour inscrire un lieu dans
la progression dramatique. Les scènes dialoguées se passent dans
un appartement isolé et je savais à la lecture du scénario
que j'allais devoir réduire les bruits extérieurs pour ne pas
distraire le spectateur du jeu des comédiens. Au tournage, j'ai donc
enregistré le mieux possible les paroles et j'ai évité
jusqu'aux bruits de parquet en m'arrangeant soit pour les laisser dans les silences,
soit pour les gommer sur les textes.
En revanche, dans les premières séquences du film où Mathieu
Carrière déambule dans le centre de Gand, j'ai construit une progression
qui partait d'une ambiance très réaliste, la ville de Gand, et
allait vers le silence de l'appartement. J'ai travaillé les sons des
trams, du marché, j'ai même ajouté des sons particuliers
qui annonçaient déjà d'autres séquences du film.
Plus le personnage s'éloigne du centre-ville, plus le son évolue
vers l'ambiance de l'appartement. Je l'ai épuré progressivement
pour ne garder que des bruits de vélos qui passent dans le lointain et
finir sur le silence. Cette progression dramatique, construite avec le réalisateur
dès la lecture du scénario, m'a permis, au tournage de ces séquences
de ne pas tenir compte du son direct puisque j'allais reconstituer le son après
le tournage en créant une atmosphère beaucoup plus irréelle
que celle qui existait lors du tournage.
C. : Dans cet exemple, la construction d'une partition sonore
ne concerne que les premières séquences du film mais elle pourrait
en couvrir la totalité ?
H. M. : C'est le rêve du preneur de son et c'est rarissime.
Par exemple, la demande de Marion
Hänsel pour Dust allait dans ce sens. Dans ce film, le personnage
principal sombre progressivement dans la folie et Marion voulait retrouver dans
la bande son une progression dramatique analogue. Nous avons écouté
de nombreux sons et cherché des thèmes sonores qui pouvaient soutenir
cette progression.
A partir de là, nous avons sélectionné les sons que nous
voulions travailler, par exemple des cris de grillons, des sons de clochettes,
des bruits de vent et cherché un lien entre ceux-ci, les ambiances et
les musiques. Ainsi, les musiques ont été composées en
fonction des bruits de vent de la partition sonore et certains sons, ceux des
grillons ou des clochettes, ont été harmonisés à
partir d'elles, leurs hauteurs tonales corrigées, afin que ces éléments
sonores se répondent en un tout cohérent.
C. : Dans ce cas, la bande son devient un élément
essentiel de la narration du film ?
H. M. : Oui, mais le risque alors est de tomber dans des structures
narratives trop lourdes ou trop explicatives. C'est pourquoi j'essaye toujours
d'avoir plusieurs niveaux d'écoute. Une écoute d'atmosphère
où les rapports sonores sont harmonisés dans un bon rapport d'équilibre
avec les musiques. Et une seconde écoute qui naît de la construction
proprement dite et là, l'entend qui veut.
C. : Comment se fait la collecte des différents éléments
d'une partition sonore ?
H. M. : Je commence, avant le tournage, par récolter des
sons qui correspondent aux ambiances du film. Pendant le tournage, quand un
son surgit, je sais grâce au travail de préparation s'il va m'intéresser
ou pas. Dans l'affirmative, j'enregistre en son seul des échantillons
de ce son que je retravaillerai par la suite pour l'intégrer à
la structure générale.
C. : Et cette récolte se poursuit après le tournage ?
H. M. : Cela dépend. En général, après
le tournage, je stocke tous les éléments sonores dont le monteur
va avoir besoin en cours de montage son et dès que le montage image est
terminé, je le visionne pour savoir exactement quels sont les sons que
je dois fournir. Par exemple dans le cas du dernier film de Benoît
Lamy, le montage image étant presque terminé, je prépare
déjà toutes les bases sonores dont je vais avoir besoin. Une ambiance
de cage d'escalier, très réaliste et très neutre, des sons
d'ascenseur qui tombe en panne avec des secousses, etc. Grâce à
la préparation et au tournage, j'en sais suffisamment pour être
prêt à fournir les sons dès que le montage son commence.
Je visionne donc l'image montée avec le réalisateur et le monteur
et nous en discutons. Ensuite, à partir d'une cassette du montage image,
je vais chercher et proposer des sons que nous allons essayer et si cela ne
va pas, je vais recommencer ou faire d'autres propositions.
C. : Une sonothèque personnelle peut compléter
la collecte des sons ?
H. M. : J'ai une sonothèque qui m'aide pas mal de quarante
mille sons dont 98% sont des sons que j'ai faits moi-même. A ce niveau,
je suis resté très artisanal. En fait, ma passion, ce sont les
sons, les atmosphères sonores, les ambiances, ce fameux son accousmatique
comme on dit de façon très sérieuse. Et sur un film, dès
que la possibilité m'en est donnée, j'introduis des atmosphères
et des ambiances que j'aime bien.
C. : Cet apport de sons non synchrones à l'image modifie-t-il
le montage image ?
H. M. : Hélas, non. Il y a rarement des retombées
du montage son sur le montage image. Et pourtant il y a des sons qui interfèrent
avec le rythme et dont il faudrait tenir compte dans le montage image. De même,
si la place manque pour mettre un son même important et bien tant pis,
il faudra trouver autre chose. Et le son sera évacué ou amputé
plutôt que de toucher au montage image. Et c'est dommage. Je n'ai quasiment
jamais vu modifier un montage image pour installer un son ou une ambiance dans
sa durée.
C. : Face à toutes ces possibilités de sons, pourquoi
avoir recours à un bruiteur ?
H. M. : Il y a des sons que je ne peux ou que je ne sais pas faire.
J'ai du mal à faire des beaux bruits de pas par exemple. Je ne me sens
pas à l'aise pour tout ce qui est synchrone à l'image. De là
le bruitage. C'est un métier à part. Le bruitage consiste d'abord
en des sons fonctionnels: un type qui marche sur des feuilles mortes par exemple,
et pour cela, il faut quelqu'un qui a un doigté, qui soit un manipulateur
d'objets et qui en connaisse bien toutes les possibilités sonores.
C. : Le bruiteur travaille-t-il en accord avec le preneur de
son ?
H. M. : Il y a peu de concertation entre le travail du bruiteur
et ce que je fais. De la même manière, on demande rarement aux
compositeurs de musique de s'intégrer au son d'un film. Chacun développe
son style.
C. : Mais alors d'où vient la cohérence de la
bande son ?
H. M. : Quand je visionne une image, je vois très bien
le genre de son que je vais faire à partir d'elle. Il y a une espèce
d'évidence qui vient du style de l'image et je crois que c'est elle qui
unit les différentes personnes qui travaillent sur le son d'un film.
En définitive, c'est l'image qui impose un type de son. Il faut dire
que le contenu de l'image, son style et sa facture, le jeu des comédiens,
restent moteurs dans le choix des éléments aussi bien musicaux
que sonores.
C. : Est-ce l'ingénieur du son qui fait le mixage ?
H. M. : L'idéal serait que l'ingénieur du son fasse
le mixage puisqu'il connaît le mieux l'ensemble des éléments
à mélanger. Certains ingénieurs du son peuvent faire les
deux, enregistrer et mixer. Parfois ils vont jusqu'à placer les sons
eux-mêmes, ils font les prémixages et puis le mixage. Il y en a
qui arrivent à faire tout ça. Moi pas. J'estime que je ne suis
pas un bon mixeur. Néanmoins, je peux donner mon point de vue sur la
manière dont tel son doit être mixé même si je ne
le mixe pas moi-même. Je sais pourquoi tel son va se placer à tel
endroit, je sais qu'il va relayer tel autre son, avec tel effet, en construisant
telle atmosphère. C'est pourquoi j'essaye d'inciter la production et
la réalisation à faire appel pour le mixage à des gens
dont la sensibilité me semble la mieux adaptée au film et à
mon type de travail. Car il exite une large palette de styles de prise de son
et de mixage qui correspondent à différentes démarches
cinématographiques.
Propos recueillis par Philippe Simon (mars 1997)
dessins : Anne-Catherine Van Santen
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